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Mois : avril 2017

Réformer l’éducation avec des beignets au tofu ?

reforme education

Frankie Bernèche PH. D., professeur de psychologie du développement, Montréal

Le ministre de l’Éducation était fier d’annoncer enfin les nouvelles mesures qui auront, une fois pour toutes, les effets espérés sur la réussite scolaire de nos jeunes Québécois.

Des mesures exceptionnelles et révolutionnaires puisées en dehors de la structure habituelle des penseurs en éducation. Bref, laissons de côté les chercheurs et intervenants spécialisés en matière de motivation et de réussite scolaire et demandons à Ricardo, Pierre Lavoie et autres vedettes du petit écran de s’occuper de la question.

En effet, le gouvernement dégagera donc plusieurs millions de dollars pour appliquer des changements alimentaires, sportifs et architecturaux dans les écoles. Il est probablement vrai qu’une meilleure alimentation, de meilleures habitudes physiques et un environnement propre et agréable favorisent la motivation et l’apprentissage, mais ces facteurs sont loin d’être les plus importants lorsque l’on connaît « minimalement » les prédicats significatifs de la réussite scolaire des enfants.

En fait, miser sur des prédicats qui influencent si peu la réussite scolaire est comme se dire que repeindre le pont Champlain permettra d’en améliorer la fluidité.

Une connaissance des études prédictives (analyses de régression et discriminantes) aurait été favorable à la compréhension du ministre qui aurait réalisé que les facteurs prédictifs les plus déterminants de la réussite scolaire sont liés aux caractéristiques propres à l’enfant (par ex. ses troubles d’apprentissage et du langage, le quotient intellectuel), aux caractéristiques de l’enseignant (par ex. pédagogie, habiletés relationnelles, sensibilité aux besoins de l’enfant) et à l’environnement d’apprentissage (la tâche à effectuer, la classe, etc.).

Les réels déterminants de la réussite

Or, c’est en investissant prioritairement dans ces réels déterminants de la réussite que nous verrons de réels changements pour le bien des enfants. Mieux former nos enseignants sur le plan des habiletés relationnelles, des aptitudes à l’établissement d’un lien d’attachement significatif et réconfortant ; s’assurer qu’ils développent une approche éducative affectivo-motivationnelle de qualité après des plus jeunes.

Investir massivement dans la formation et l’embauche des intervenants spécialisés en mesures d’appui (psychoéducateurs, orthopédagogues, orthophonistes, psychologues en apprentissage, etc.) et surtout préserver les mesures d’appui déjà existantes, outils indispensables à la réussite d’un nombre croissant d’élèves d’écoles primaires, secondaires et postsecondaires (notons ici que le gouvernement projette d’enlever les mesures d’appui aux élèves de 5e secondaire, l’an prochain). Une fois ces paramètres bien investis, nous pourrons alors songer à investir dans les beignets au tofu et les angles feng-shui des corridors scolaires.

En conclusion, la présentation de ce groupe de « joyeux lurons » qui allie bonne nourriture, bon sport et décorations au goût du jour témoigne davantage d’une approche populiste (voire électoraliste) que d’une approche documentée et sérieuse de la question de l’éducation. L’éducation est une des principales causes de la richesse, du sentiment de liberté et du bien-être psychologique de nos enfants devenus adultes. Ne laissons pas l’avenir de nos enfants aux soins de l’inspiration de nos vedettes, si sympathiques soient-elles.